Ballade de fruits
d’Hélène Grosso
(extrait)Marinette, vieille fille sympathique, prépare l'apéritif pour ses célèbres voisins. Cette émotion la met dans tous ses états...
Quand j'avais 12 ou 13 ans, il m'est arrivé une drôle d’histoire.
Jusqu'à l'été de cette année-là, la rue de la Colline avait été une rue toute banale pour moi. Tous les jours, seule ou avec les copains, je jouais au ballon, aux billes, je grimpais aux arbres pour chaparder des pommes, des prunes, des poires. A la fin août alors qu’installée sur une branche, je croquais une pomme acide, il est arrivé "la chose" qui changea ma vie et la rue, les maisons, le goût des fruits et des jeux... Ce n'était plus la rue des pommes ou du ballon, c'était la rue de la maison avec LA fenêtre. Et cette fenêtre était une scène avec un rideau levé. Et dans cette pièce, il y avait deux acteurs, qui riaient, soupiraient, chuchotaient. Accrochée aux branches du pommier, serrant de toutes mes forces, je regardais cette scène où les gens ne se soupçonnaient pas acteurs, qui faisaient passer leurs chemises par-dessus la tête, laissaient tomber leurs vêtements par terre, qui apparaissaient … nus…, semblables à des animaux. Je me demandais : Qu'est-ce qu'ils font ? Pourquoi rient-ils ? Qu'est-ce qu'ils ont ?
Pour me renseigner, je suis allée voir Marthe, la voisine qui habite au bout de l’impasse des Roses, la seule qui m’écoutait avec gentillesse. Mais ce jour-là, pas moyen. Elle était énervée à cause de Roméo, son chien, alors elle m’a envoyé balader avec mes questions à répétition. Elle a d’autres soucis, dit-elle, son chien a disparu. Roméo qu'elle l'appelle, c'est un peu ridicule, nous, on l'appelle "saucisse à poil ", ça lui va bien mieux ! Les garçons lorsqu’il le croise, lui lancent des allumettes enflammées, pauvre bête !…
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Ce chien tous les ans, après avoir été bien sage pendant plusieurs mois, il s'enfuie. Il ne revient qu'au bout de plusieurs jours, tout boiteux, couvert de plaies, avec dans son poil des odeurs de marécages, d'ordures, à croire qu'il a traîné dans tous les endroits sales et mal famés de la Terre... Et puis il réapparaît, il revient chez lui avec son drôle de petit sourire au coin des babines et se remet à mener une vie d'innocence, tout gentil et câlin. Puis il disparaît à nouveau et tout recommence. Forcément, Marthe, elle se fait un sang d'encre à chaque vadrouille, pensez… Quand on voit partir ses enfants, ça fait du souci.